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LE BAILLEUR QUI NE JUSTIFIE PAS D’UN MOTIF GRAVE EXPLIQUANT LA NON REALISATION DU MOTIF DONNE A L’OCCASION DU CONGE EST REDEVABLE AU LOCATAIRE DE L’INDEMNITE D’EVICTION TELLE QUE PREVUE PAR LA LOI

Le 24 novembre 2010
LE BAILLEUR QUI NE JUSTIFIE PAS D’UN MOTIF GRAVE EXPLIQUANT LA NON REALISATION DU MOTIF DONNE A L’OCCASION DU CONGE EST REDEVABLE AU LOCATAIRE DE L’INDEMNITE D’EVICTION TELLE QUE PREVUE PAR LA LOI
Les faits de la cause sont les suivants :

Mr et Mme P-Y ont signé un bail commercial avec Mme B. relativement à un immeuble en vue d'y exercer un commerce de friterie et petite restauration.

Le bail commercial a été consenti pour un terme de 9 années prenant cours le 1er octobre 2004 et finissant de plein droit le 1er octobre 2013.

A la même date, Mr et Mme P-Y ont signé une convention de cession de fonds de commerce avec une dame L. (fille de Mme B.) et portant sur le commerce de friterie.

Mr et Mme P-Y ont commencé à exploiter le commerce de friterie et petite restauration à dater du 1er octobre 2004.

Par courrier recommandé non daté notifié le 13 avril 2006, Madame B. a fait usage de la faculté de résiliation triennale pour exploitation personnelle prévue par le bail, en application de l'article 3, alinéa 5 de la loi sur les baux commerciaux.

Mr et Mme P-Y ont donc quitté les lieux courant septembre 2007.

Mr et Mme P-Y ont assigné par la suite Madame B. pardevant le Tribunal de Commerce de Mons à défaut pour le bailleur d'avoir réalisé le motif du congé et - dans le prolongement - de leur avoir occasionné un dommage complémentaire consécutif à la suite de la perte sèche du fonds de commerce.

Après examen, le Tribunal de Commerce de Mons (06 juillet 2010, RG A/09/310) s'est prononcé comme suit :

En cause de :

Mr et Mme P-Y

Parties demanderesses

Représentée par Maître Ludovic TRICART

Contre :

Madame B.

Partie défenderesse

Représentée par Me Philippe CAUCHIES

(...) 2. L'indemnité d'éviction

(...) 2.2 L'absence de réalisation du motif invoqué

2.2.1 Comme indiqué au point 2.1.1, le congé était motivé par l'intention de Mme B. d'exploiter personnellement un commerce dans l'immeuble.

Il n'est toutefois pas contesté qu'elle n'a jamais exercé le moindre commerce dans l'immeuble après l'expiration du bail.

L'article 25, 3° de la loi sur les baux commerciaux dispose que : « l'indemnité due par le bailleur est de 3 ans de loyers, majorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer une réparation intégrale du préjudice causé, si le bailleur, sans justifier d'un motif grave, ne réalise pas dans les 6 mois et pendant 2 ans au moins l'intention pour laquelle il a pu évincer le preneur ».

En principe, Mme B. serait donc redevable d'une telle indemnité puisque :

• la loi n'autorise la résiliation triennale du bail que pour permettre l'exploitation personnelle par le bailleur ou un membre de sa famille,
• c'est bien ce motif qui a été invoqué dans le congé,
• ce motif n'a pas été réalisé dans le délai légal.

Toutefois, la loi indique bien que le bailleur est dispensé de toute indemnité s'il peut justifier d'un motif grave.

Dans le cas présent, Mme B. invoque le fait que son état de santé ne lui permet plus d'exploiter un commerce. Elle a d'ailleurs été reconnue invalide à plus de 66 % par décision du 20 décembre 2007 du SPF Sécurité Sociale.

Mr et Mme P-Y soutiennent toutefois que l'état de santé de Mme B. ne constitue pas une excuse légitime pour l'absence d'exploitation personnelle. En effet, ils estiment que cet état était déjà connu par Madame B. lorsqu'elle a donné congé.

Madame B. réfute cette affirmation en produisant 2 certificats médicaux et la décision du SPF Sécurité Sociale. Elle dit n'avoir été affectée par des ennuis de santé qu'à partir du mois d'août 2007.

2.2.2 Le Tribunal relève que cette dernière affirmation est manifestement inexacte et contraire aux pièces que Mme B. dépose elle-même.

En effet, il ressort de la décision du SPF Sécurité Sociale que Mme B. a formé sa demande d'allocation de handicapé le 30 septembre 2006.

Cette date est donc largement antérieure au mois d'août 2007. Toutefois, elle est postérieure au congé du 13 avril 2006.

Cependant, la dégradation de la validité de Mme B. n'est pas brutalement apparue le jour de sa demande d'allocation. Il est clair que cet état devait être préexistant.

2.2.3 Dès lors que la loi prévoit que, en principe, le bailleur doit une indemnité d'éviction s'il n'exécute pas le motif du congé, c'est donc lui qui supporte la charge de la preuve du motif grave qu'il invoque pour expliquer l'absence d'exploitation personnelle.

En pratique, c'est donc Mme B. qui doit établir que son état de santé ne s'est dégradé qu'après la notification du congé.

Or, les éléments qu'elle produit sont insuffisants car :

• ils démontrent que les affirmations de Mme B. quant à la date de la détérioration de son état de santé sont inexactes,
• ils ne permettent pas de fixer avec précision la période réelle à laquelle Mme B. a pris conscience de son incapacité de travail,
• ils donnent en tout cas à penser que cette incapacité est apparue antérieurement au 30 septembre 2006 ; il n'est donc pas exclu que Mme B. savait déjà, au mois d'avril 2006, que son état de santé ne lui permettait pas d'exercer une activité professionnelle.

Le Tribunal ordonne dès lors la réouverture des débats pour permettre à Mme B. de s'expliquer à ce sujet.

Le Tribunal est conscient de ce que les informations décisives sont d'ordre médical et donc couvertes par le secret médical. Mme B. est dès lors en droit de refuser de les communiquer et le Tribunal n'a aucun pouvoir d'injonction à ce sujet. Elle doit toutefois être consciente qu'elle supporte la charge de la preuve dans le cadre du présent litige.

Cela étant, il n'est pas nécessaire de connaître les affections réelles dont souffre Mme B. La gravité de son état n'est par ailleurs pas mise en doute.

Il apparaît donc qu'elle pourrait produire des attestations, dont les informations non pertinentes peuvent être masquées si elle le souhaite, établissant à quel moment elle a commencé à consulter pour l'affection qu'elle a invoquée pour obtenir des allocations de handicapé.

Ces éléments pourraient être vérifiés, le cas échéant, par une expertise médicale dans laquelle la mission de l'expert serait rédigée de manière à ne pas mettre en cause le secret médical que Mme B. peut légitimement invoquer.

Enfin, le Tribunal souhaite également mettre à profit la réouverture des débats pour que Mme B. expose (le cas échéant justifie) le type de commerce qu'elle souhaitait exploiter dans l'immeuble loué.

Par ailleurs, le Tribunal souhaite également connaître l'activité que Mr et Mme P-Y ont réalisée après la fin du bail (...).

Sur réouverture des débats, le Tribunal de Commerce de Mons (28 octobre 2010, RG A/09/310) a finalement tranché le litige dans les termes suivants :

(...) 3. Mme B. a produit différents certificats médicaux dans le cadre de la réouverture des débats.

Parmi les pièces produites, figure un certificat non daté qui indique que Mme B. souffre ( ...). Cette pathologie l'empêche de travailler et de fournir un effort même léger.

Ces documents ne permettent pas de fixer avec précision la date d'apparition de ces pathologies ni le moment auquel elles ont atteint un degré de gravité tel que Mme B. s'est trouvée en état d'incapacité totale de travail. En revanche, le fait de citer ces affections dans les antécédents permet d'en déduire qu'elles devaient exister avant 2007.

Par ailleurs, Mme B. a fait une demande d'allocation de handicapé en date du 30 septembre 2006, soit 5 mois et demi après le congé. Dans le précédent jugement, le Tribunal avait fait observer que l'état de santé qui a justifié cette demande n'était certainement pas apparu le jour de la demande et devait donc être préexistant.

Ces différents éléments, sans apporter de certitude, donnent en tout cas à penser que la capacité de travail de Mme B. devait déjà être fort amoindrie en 2006.

Il y a lieu de rappeler que le bailleur (donc, Mme B. dans le cas présent) supporte la charge de la preuve du motif légitime qui l'empêche d'exercer un commerce personnellement.

Or, Mme B. ne démontre pas que son état de santé s'est brutalement dégradé en septembre 2006 ou, à tout le moins, après le congé notifié au mois d'avril 2006.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que Mme B. ne rapporte pas la preuve que l'inexécution du motif mentionné dans le congé (exploitation personnelle) est due à un problème indépendant de sa volonté, qui est apparu postérieurement au congé.

4. Mme B. est donc redevable de l'indemnité d'éviction due en vertu de la loi sur les baux commerciaux. Elle se monte à 22.320 € dans le cas présent.

5. Mr et Mme P-Y réclament en plus des dommages et intérêts parce qu'ils n'ont pu exploiter leur fonds de commerce.

Ils exposent qu'ils ont dû contracter un prêt pour l'achat du fonds de commerce, dont ils ont dû assumer la charge sans avoir de rentrées. Ils déclarent également que la clientèle a été perdue, de même qu'une partie du matériel cédé, qui a été revendiqué par le propriétaire du bâtiment.

Compte tenu de ces différents éléments et à défaut de disposer de bases plus précises d'appréciation, le Tribunal fixe le préjudice de Mr et Mme P-Y à la somme forfaitaire de 10.000 €. (...)

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit la demande recevable et fondée dans la mesure ci-après,

Condamne Mme B. à verser les sommes de :

• 22.320 € à titre d'indemnité d'éviction, augmentée des intérêts moratoires au taux légal à compter du 06 février 2008 jusqu'à complet paiement,
• 10.000 € à titre de dommages et intérêts complémentaires, augmentée des intérêts compensatoires au taux légal à compter du 06 février 2008 jusqu'au jugement puis des intérêts moratoires jusqu'à complet paiement.

Condamne Mme B. aux frais de justice fixés à la somme de 2.604,07 €.

Ordonne l'exécution provisoire du jugement, même en cas de recours (...) »

 

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